
La recette d’aujourd’hui est dédiée à une ville italienne au centre de l’épidémie de coronavirus qui ce dernier mois a ravagé l’Italie du nord. Je veux parler de Bergame, l’une des plus discrètes, mais aussi des plus actives « abeilles ouvrières » qui nourrissent l’économie de la « ruche » Lombardie (et de l’Italie en général). Tellement performantes que avec Milan et Monza, elle fait partie du « triangle » plus riche d’Italie. C’est donc avec appréhension qu’on suit le déroulement des événements, d’autant plus graves que Bergame est un tout petit centre (122.000 habitants), et les décès atteignent, pour l’instant, 4 % de la population. Du jamais vu même pendant la Seconde guerre mondiale…

Mais les gens du coin sont des battants, et on leur reconnaît une ténacité, voire une obstination, à toute épreuve. Ils ont, pour ainsi dire, la tête et la peau dures, et ce depuis toujours. Bergame en fait est un toponyme dérivé de l’indo-européen et signifie littéralement la « citadelle ». D’origine germanique, le mot est composé de berg – la montagne -, et de heim – la maison (fortifiée). Mais les Romains, arrivés sur place au Ier siècle avant J.C., balayèrent les précédents habitants des lieux, Ligures, Gaulois et Teutons, et transformèrent la « maison de la montagne » en une ville, Bergomum.

La nature donc a façonné le caractère des bergamaschi, qui ont aussi la bougeotte et un sens inné des affaires. Et pour cause ! Ici on est à deux pas des Alpes, et pas que. La Suisse et l’Autriche sont situées au nord, juste au delà des montagnes. Gênes est à 200 km au sud-ouest, et Venise à une distance équivalente, à l’est. Pendant des siècles, Bergame a été une ville de marchands, passés maîtres dans l’art discret de gagner de l’argent. Elle enfanta aussi quelques esprits disruptifs. Jannetto de Tassis, par exemple.
Entre 1489 et 1512, il créa le service postal pour le compte de Maximilien Ier, empereur du Saint Empire, entre les Flandres, la Bourgogne, l’Allemagne, l’Italie du nord, l’Autriche, l’Hongrie et la Dalmatie. L’Europe (presque) entière. Pour sa compétence, il fut récompensé avec force titres et richesses, et ses descendants poursuivant son exemple donnèrent vie à la maison princière de Thurn und Taxis, toujours présente avec son château dans la ville allemande de Regensburg, en Bavière…

Vous l’aurez compris, on a à faire à des gens concrètes, même pour ce qui concerne la cuisine. Sur les tables bergamasche on trouve beaucoup de fromages, de charcuterie et de polenta, ainsi qu’une spécialité qui mérite le détour (et un hommage) : les casoncelli, sortes de chaussons de pâte fraîche, remplis de viande, fromage et alia, qui étaient déjà consommés sur place aux XIIIe et le XIVe siècles, même si la première version était apparement cuite au four, et non pas bouillie dans le chaudron. De nos jours, c’est l’un des plats les plus prisés non seulement à Bergame, mais aussi à Brescia (et dans leurs provinces), dans des nombreuses variantes. La mienne est l’une d’entre elles.

D’abord les pâtes. Elles sont faites d’un mélange de farine blanche et de semoule de blé dur, d’oeufs et de l’eau. En utilisant la pétrisseuse, j’ai obtenu une boule lisse et élastique, que j’ai laissé reposer une demi heure dans le réfrigérateur, enveloppée dans du film alimentaire.

Ensuite, la farce. A Bergame, on utilise tout d’abord un ingrédient appelé « pasta di salame« , composé de poitrine fumée, de bas joue, de coppa et d’épaule (le tout de porc), plus de l’ail, du poivre et du vin rouge. A Paris ce produit est introuvable même en temps normal, alors j’en ai fait moi-même, avec les moyens du bord.

A savoir, un hachoir à viande, dans lequel j’ai passé le tout pour obtenir…

…la pasta di salame, que j’ai fait revenir dans la poêle…

…avec du beurre, la moitié d’une poire, une morceau de viande rôti (du veau), une gousse d’ail et du persil hachés.

Une fois cet ensemble doré, je l’ai transféré dans un bol, et mélangé avec du fromage Grana Padano râpé…

…de l’oeuf battu…

…des gâteaux secs en miettes (traditionnellement on utilise des amaretti aux amandes)…

…du raisin de Corinth (déjà passé à l’eau tiède)…

…et de la chapelure de pain, plus du sel et du poivre. Au final, la farce devra être souple et pas humide.

Une fois la pâte et la farce prête, il faut les assembler et ce n’est pas une mince affaire. J’ai étalé la pâte finement avec un rouleau à pâtisserie sur une planche de travail ; mais vous pouvez aussi utiliser une machine à pâtes manuelle. Ensuite j’ai déposé à intervalles réguliers une peu de farce, puis j’ai créé un cercle à l’aide d’une roulette coupe-pâte et retourné la pâte sur elle-même pour obtenir le casoncello.

Une autre option consiste à déposer la farce sur la pâte, à recouvrir le tout d’une deuxième feuille de pâte et à découper tous les petits chaussons à la roulette coupe-pâte.

Avant de les faire cuire, il faut s’atteler à la dernière étape : la sauce, à base de poitrine fumée, beurre et sauge (si vous arrivez à la trouver fraiche, ce sera encore mieux). Faites revenir le tout quelques minutes et en attendant faites bouillir de l’eau et jetez-y les casoncelli pendant trois minutes, passez-les dans la poêle avec la sauce et servez-les avec du Grana Padano râpé.

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, vu les ingrédients, le goût en bouche est un mélange très délicat sucré salé, qui fait penser à la cuisine mitteleuropéenne.

Pour les accompagner, il ne faut pas aller bien loin. Dans les environs de Bergame, il existe un délicieux merlot-cabernet sauvignon cultivé sur les hauteurs du Lac d’Isée, le Rosso del Lupo, vin structuré et solide comme les gens du coin. Prosit !
Ingrédients pour 4 personnes :
pour les pâtes; 200 gr. de farine blanche, 200 gr. de semoule de blé dur, 3 oeufs, eau;
pour la farce; 150 gr. de pasta di salame (poitrine fumée, coppa, épaule et bas joue), 100 gr. de viande rôti (veau), 60 gr. de chapelure, 5/6 amaretti, 10 gr. de raisin de Corinth, 1/2 poire variété Abbé Fetel, 1 gousse d’ail, 1 oeuf, du persil râpé, 40 gr. de fromage Grana Padano râpé, sel et poivre;
pour la sauce; 100 gr. de poitrine fumée, 100 gr. de Grana Padano râpé, 80 gr. beurre, sauge en feuille ou séchèe.