
Chaque année il y a un media italien « réputé », généralement suivi par les gens cultivés des grands centres urbains, qui établit un classement des villes du pays par rapport à l’environnement, à l’emploi, à la santé, à l’égalité de salaire entre hommes et femmes, aux services, culture, temps libre…bref, tout ce qu’on pourrait appeler qualité de vie. Au sommet de la liste, cela va sans dire, il y a des villes du Nord-Est : Milan, Trieste, Trento, Trévise, Bolzano, Pordenone, Udine, Vérone…En revanche, au fond du trou figurent, comme toujours, plusieurs centres du Mezzogiorno, entre les Pouilles, la Calabre, la Sicile, ou encore le Molise.

Le drôle de l’histoire c’est que les mêmes médias font aussi chaque année une liste des lieux à visiter parce que il y fait bon vivre, loin de la pollution et des tracas des grandes villes industrielles ou commerçantes, au contact de la nature, au milieu de gens aux moeurs paisibles, peu intéressés par la fashion week ou le dernier modèle de trottinette électrique. Et bien, figurez vous que en tête de liste figure à nouveau le Molise, véritable découverte ethno-anthropologique durant ces années de pandémie, par les riches gens du Nord ! Mais rassurez vous, il n’y a pas que les Italiens qui se la jouent Christophe Colomb débarquant dans le Nouveau Monde.
Les maîtres à penser du New York Times, tels des voyageurs de l’espace à la découverte de la Terre, ont intégré dans leur liste de 52 sites « exotiques » à visiter en 2020 – parmi le Lesotho, la Malaisie ou encore le Groenland – la Sicile et le Molise. Relevant pour ce dernier le charme d’un train historique – symbole du slow travel dont raffolent les bobos – qui relie Sulmona dans les Abruzzes à Carovilli au Molise, appelé le « transsibérien » parce que dans ces contrées montagneuses et reculées, durant l’hiver, il y tombe tellement de neige qu’on se croirait au milieu de la Russie (et le portable n’y capte même pas). Le dépaysement absolu pour les fans de la globalisation effrénée.

Un autre point fort de ces montagnards est la cuisine, basée, vous l’imaginez bien, sur les produits locaux. Parmi eux figure l’incontournable du gibier à poil, le lapin. Cuisiné au Molise non pas – pour citer Lévi Strauss – de façon « civilisée », en utilisant une casserole, mais plutôt rôti à la broche. Dans le prolongement d’une tradition ancestrale, car la coutume de manger de la viande percée par une broche de bois – ou de métal – sur le feu de camp, remonte aux temps de l’homme chasseur et guerrier, à l’épreuve dans son environnement, potentiellement hostile.

Je vais revenir sur la recette dans un instant, mais j’aimerais rendre hommage à la broche(tte), objet passepartout aux multiples facettes de la cuisine méditerranéenne. Dans la Grèce d’Homère, on l’appelait ὀβελίσκος (obeliskos), diminutif d’ὀβελός (obelos), et on la distinguait de la lance, λόγχη (lónkhē). Les Romains, quant à eux, la désignaient comme venabulum, et elle pouvait être soit une arme de chasse soit un instrument de cuisine.
A l’arrivée de peuplades germaniques dans la péninsule pendant l’Antiquité tardive, on est passé de venabulum à speot, d’où l’italien spiedo (ou spiedino quand il est petit). En revanche, les Grecs post-classiques choisirent le mot souvlaki (du latin subula, petite aiguille), à peu près comme les Français (et les Espagnols), puisque broche dérive elle aussi du latin brochus (« saillant, pointu ») via son féminin brocca « chose pointue ».

Variations de langage donc mais utilisation similaire, avec quelques différences régionales tout de même. En Italie, il existe toutes sortes de brochettes, avec tous types de viande à cuire, et de taille.
Dans la Vénétie, fidèle à l’héritage germanique, les locaux raffolent du spiedo veneto. Sur des broches très longues, on cuit pendant six heures des morceaux de pintade, lapin, chapon, caille, chevreau, agneau, canard, entremêlée à des tranches de lard…
Dans les Abruzzes, sa majesté le mouton trône en tous petits morceaux – en alternance avec du gras – sur les arrosticini. Le but c’est d’en manger le plus possible en moins de temps possible…
Dans les Pouilles, on a l’embarras du choix : spiedini marins des petites sèches, bombette (petites roulades de veaux, fromage et poitrine fumée), gnummareddi, turcinieddi, nghiemeridde ou mazzacorde (foies, poumons et abats de chevreau, alternés avec du lard, du piment et du fromage, recouverts avec les boyaux de la bête et parfumés avec des feuilles de laurier). Une tuerie !
En Sicile, il y a les stigghiole, street food par excellence, composées des boyaux de jeune mouton parsemées de persil, oignon et d’autres aromates, puis enroulées au tour de la broche…
Dans le Molise, ils y vont plus mollo. Les paysans se contentent de préparer le râble du lapin (chassé ou d’élevage) farci avec du jambon sec, plus quelques morceaux de saucisse de porc (provision de l’hiver précédant), et les abats du lapin. Avec en garniture de la laitue fraîche. Infiniment plus léger. Mais voyons ça dans le détail :

Il faut d’abord couper la bête en morceaux, pour ensuite les écorcher. Sur la gauche (de la photo), j’ai mis le grosses tranches (qui serviront pour les brochettes). Sur la droite j’ai posé le restes, avec ou sans os. Ces derniers iront cuire dans un bouillon de viande. Ils serviront pour une petite sauce à utiliser sur des pâtes le lendemain…

N’oublions pas les abats : le foie et le coeur doivent être coupés en tranches.

Quant aux morceaux nécessaires pour les involtini (les roulades) : ils seront battus à l’aide d’un attendrisseur, puis parsemés d’aromates (romarin, persil, sauge) et remplies de jambon sec haché.

Le reste est d’uns simplicité extrême. Sur chaque brochette, on enfilera un involtino de lapin, un morceau de saucisse, un de foie… à votre guise, ajoutant encore des aromates, un peu de sel, de poivre moulu et quelques gouttes d’huile extra vierge d’olive. Attention, la viande de lapin, très maigre, peut sécher très vite, surtout si vous avez, comme moi, un four électrique. La cuisson dans ce cas doit durer environ trois quarts d’heure, à 180°. Pendant ce temps, il faudra retourner les brochettes.

Et voilà, le tour est joué. Une feuille de laitue bien fraîche, et on se croirait perdu dans les collines du Molise, comme les journalistes du NYTimes…

Dernier conseil, le vin pour accompagner ce petit délice. Voici un Biferno A.O.C., rouge produit dans la province de Campobasso, bien adapté aux terrains escarpés de la région.
Ingrédients pour six personnes :
un lapin d’environ 1,500 kg; six saucisses de porc, 100 g. de jambon sec, romarin, persil, sauge, sel fin, poivre, feuilles de laitue, huile extra vierge d’olive, et brochettes.
Quel travail la préparation de ces délicieuses brochettes mais le résultat en vaut largement la peine ! Voilà une recette qui me plait beaucoup! Bonne fin de soirée
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