Casatiello napoletano (Casatiello napolitain)

C’est un peu le même refrain chaque année : moi qui essaie de fêter Pâques, et mes proches français qui s’étonnent pour mes lubies de rital, trop influencé par son héritage catholique. Parfois j’ai l’impression qu’ils me voient comme un prêtre réfractaire auquel on devrait imposer le serment du 1792 : « Je jure d’être fidèle à la nation et de maintenir la liberté et l’égalité ou de mourir en les défendant« …

Et bien, citoyens, je veux vous rassurer : mes intérêts (au-delà de la bonne chair) n’ont rien à voir avec la religion (catholique), mais plutôt avec les aspects historiques, sociologiques et ethnologiques, qui se cachent derrière le rite. Mon approche est en quelque sorte « herméneutique » (lecture, explication et interprétation) du phénomène de Pâques, qui tient compte de la tradition, pour ensuite l’adapter à la réalité du monde moderne. Dit comme ça, ça a l’air compliqué, mais il suffit de me suivre à Naples – surtout à Pâques – pour comprendre ce que je veux dire.

C’est une ville où le passé et le présent coexistent – bon gré, mal gré – à chaque coin de rue. C’est une ville où même une recette de cuisine est un concentré de « superstitions » aptes à s’attirer la bienveillance de la divinité, face au risque permanent de voir le monde sombrer dans le chaos.

Le Siècle des Lumières s’efforça de se débarrasser de ces « vieilleries » qui risquaient de piétiner l’expansion de la vie, mais paradoxalement ici cet ensemble de représentations mentales, visuelles, olfactives et gustatives s’est révélé être un puissant artifice pour le développement et la protection (jamais escomptée) de la vie elle-même.

Je vais vous en donner un exemple avec l’un des fleurons de la cuisine napolitaine de Pâques, le casatiello, un rustico (sorte de tourte salée) fourrée au fromage et à la charcuterie. Son nom (en patois) est le diminutif de caso, cacio en italien (du latin caseus), queso en espagnol (cheese en anglais).

Et ce n’est pas un hasard s’il est très proche du folar portugais et de la mona de Pascua espagnole (sucrée). La tradition chrétienne veut qu’il soit préparé le vendredi soir, laissé lever toute la nuit du Vendredi saint, puis cuit le lendemain matin.

Il apparaît dans la littérature moderne au début du XVIIe siècle, lorsque le comte Gambattista Basile écrit, en langue napolitaine (parce qu’à l’époque le patois était langue d’Etat), La gatta cenerentola (ancêtre de Cendrillon), histoire fantastique pour enfants intégrée dans Lu cunto de li cunti, recueil de contes populaires.

En réalité, son origine est bien plus ancienne. Ceux qui ont fait des études classiques vous diront qu’à l’origine du casatiello, il y a des offrandes faites du 12 au 19 avril pendant les Cerealia (ou jeux de Cérès), en l’honneur de la déesse latine de l’agriculture, des moissons et de la fertilité.

Mais une divinité en cache toujours une autre. Ainsi, en remontant le temps, on arrive jusqu’au Néolithique (Xe millénaire), époque charnière de l’évolution, au cours de laquelle une « révolution mentale » a permis aux hommes de devenir maîtres de la domestication de plantes et des bêtes, et d’élaborer leur lien avec les divinités, auxquelles il fallait porter des offrandes pour qu’elles les protègent des aléas naturels, de la guerre, des maladies, de la mort…

Et à présent, aux fourneaux. Pour la pâte, il faut se doter de farine de blé tendre Manitoba. En Italie, elle est utilisée pour les pizze. C’est une farine professionnelle avec une très bonne valeur boulangère, ce qui lui confère une capacité à supporter des temps de levée plus longs que des farines normales.

Il faut également de l’eau, de la levure fraîche de boulanger, du pecorino et du saindoux (strutto, en italien). Les pauvres Napolitains d’antan utilisaient la ‘nzogna (sugna en italien), qui est la graisse qui entoure les glandes surrénales du porc, moins chère que le strutto, graisse sous-cutanée au tour de la colonne vertébrale, plus blanche et raffinée.

Première chose à faire : mélanger à la main ou avec une cuillère en bois dans un bol, la farine avec le saindoux en morceaux et à température ambiante.

Puis ce sera au robot pétrisseur de faire le job, en ajoutant – au fur et à mesure – d’abord la levure émiettée, ensuite l’eau, le sel, le poivre moulu (il en faut pas mal), et un peu de pecorino râpé. Attention : il faudra arrêter le robot quand la pâte sera bien fixée au crochet.

A la fin, prenez la boule de pâte, façonnez-la à la main, et déposez-la dans un bol saupoudré de farine. Couvrez avec un chiffon mouillé et laissez lever dans le four éteint, avec la lumière allumée, au moins douze heures.

Le jour J : les ingrédients pour la farce. Côté charcuterie, on a du saucisson à couper en fines lamelles ou morceaux, plus des lardons et des ciccioli, résidu grillés du tissu adipeux interne du porc (comme les fritons, ou gratons utilisés en France). Côté fromages, on a du pecorino (romain ou sicilien, légèrement pimenté), du provolone (salé), et de la scamorza (douce et pas fumée), tous en petits morceaux.

Quant à la pâte : réservez-en environ 30 grammes pour la déco. Etalez le reste jusqu’à atteindre environ un centimètre d’épaisseur sur la planche de travail, à l’aide d’un rouleau à pâtisserie, en forme rectangulaire. Repliez-la trois fois sur elle-même en portefeuille, pour ensuite l’étaler à nouveau. A chaque fois, passez sur la surface un petit pinceau imbibé de saindoux liquéfié, râpez un peu de pecorino et ajoutez du poivre noir moulu.

Remplissez tout l’espace disponible avec la farce, et ajoutez encore du fromage râpé.

Dernière étape : enroulez la pâte sur elle-même, en partant du côté long, jusqu’à former une « saucisse », qui vous irez déposer dans un moule avec trou central. Attention à bien joindre les deux extrémités de la « saucisse », pour éviter d’avoir des défauts de levage pendant la cuisson.

Pour la décoration, déposez quatre oeufs sur la pâte. Prenez la pâte que vous aviez mise de côté. Etalez-la, découpez plusieurs bandelettes et formez des petits ‘rubans’ qui serviront à dessiner les croix au-dessus des oeufs (c’est Pâques, ne l’oubliez pas !). Le tout sera encore imbibé de saindoux à l’aide du pinceau (sinon vous pouvez utiliser un jaune d’oeuf).

(Petit rappel de mythologie pre chrétienne : l’oeuf cosmique est un concept symbolique utilisé pour expliquer l’apparition du monde, et il est évoqué déjà dans des textes indiens en sanskrit, datant du 1.500 avant J.C.).

Laissez – encore ! – lever le casatiello, à l’intérieur du four éteint, au moins une heure.

Faites cuire le casatiello au four, à une température de 180°C, pendant 40 minutes. Puis baissez la température à 160°C, et faites cuire encore vingt minutes. Ensuite, attendez qu’il refroidisse et démoulez-le. Il sera encore meilleur après quelques heures de repos. Vous pouvez le savourer, ainsi que les oeufs, comme encas, ou en hors d’oeuvre, pendant deux-trois jours. Il y a même un cousin du casatiello, appelé tortano (parce que reprend la couronne d’épines entrelacée du Christ), avec des oeufs durs à l’intérieur de la pâte).

Pour accompagner ce délice, post-Carême, je préconise un vin rouge puissant de la province de Caserta, issu d’un cépage très ancien. Cela vous aidera à oublier l’ennuyeux débat superstition vs raison.

Ingrédients (pour 12 portions) :

pour la pâte = 600 g. de farine Manitoba, 300 ml d’eau, 10 g. de levure de boulanger, 200 g. de saindoux (150 g. dans la pâte), 10 g. de sel fin, beaucoup de poivre noir à moudre, fromage pecorino à râper.

pour la farce = 200 g. de saucisson, lardons, fritons, 200 g. de pecorino, provolone et scamorza, poivre noir à moudre, 50 g. de saindoux.

pour la garniture : 4 oeufs (et 30 gr. de pâte), 50 gr. de saindoux.

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