
Les recettes de la Vénétie sont souvent très élaborées. Mais en regardant de plus près la combinaison de leurs ingrédients, bien ancrés dans leurs terroirs d’origine, on découvre une harmonie presque mathématique, qui fait que l’exécution du plat devient, au bout du compte, simple. C’est un peu comme se retrouver devant l’une des très célèbres villas de Palladio, l’architecte de la Renaissance. Des bâtiments magnifiques qui s’imposent dans le paysage, clairement distincts de la nature environnante, mais liés à elle par un lien indissoluble, de sorte que même la nature semble être pensée.
Mais détrempez-vous : les créations de ce génie venu du bas peuple n’étaient pas destinées uniquement aux loisirs de leurs riches propriétaires. Elles étaient avant tout des complexes de production agricole. Des lieux où les gens vivaient, travaillaient, et mangeaient bien. La recette que je vous propose est à l’image de ces lieux : à la fois élaborée et genuina, comme on dit en italien, « authentique ». Ce risotto en bouillon de queue au vin rouge, enraciné entre Venise, Padova, Vicenza et Verona, est tout à fait « palladien ». Je vais vous expliquer pourquoi.

Commençons par parler des vaches, en l’occurrence de la race locale Burlina, héritières des migrations et/ou des invasions barbares du nord de l’Europe. De nos jours, leurs élevages (laitiers) sont une production de niche, mais au XVIe siècle elles étaient installées depuis un bon millénaire dans les pâturages de toute la Vénétie. Les pauvres gens n’avaient pas les moyens de se payer un bon repas de viande, mais les morceaux maigres et gras (queue, muscles, tendons, ligaments) qui restaient attachés à la colonne vertébrale de l’animal après l’abattage et la découpe, étaient tout de même l’apanage des classes moins aisées, surtout à la campagne.
Le riz, lui, a été introduit sur cette terre, nommée « Stato de Tera » (les Domaines de la terre ferme) à la Renaissance et cultivé dans de grands latifundia. C’est à cette époque qu’on trouve les premières sources évoquant le risoto co’ ‘e secole, autrement dit le risotto avec des bas morceaux de viande.

Ce plat pauvre était toutefois rehaussé avec des épices venues du Levant. Rappelons que Venise, toute proche, avait fondé sa fortune sur le commerce des épices depuis le IXe siècle. Le poivre, d’abord, qui arrivait de l’Inde et de la Chine.

… mais aussi la cannelle, cette écorce d’un arbre du Sri Lanka employée dans innombrables recettes de cuisine. Vous voyez où je veux en venir ? En Vénétie, même un bouillon de viande et un risotto campagnard deviennent un oeuvre d’art digne de Palladio.

Mais encore faut-il y parvenir ! Passons donc aux fourneaux. D’abord le bouillon. Pour le préparer, on a besoin d’un oignon, d’une carotte, de quelques branches de céleri, et de la queue de bœuf.

Il faut d’abord plonger les morceaux de queue dans une casserole remplie d’eau froide.

… puis au moment de l’ébullition, le reste des ingrédients, oignon, carotte et céleri.

Pour donner du « piment » au bouillon, ajoutez quelques grains d’épices. A savoir, du poivre noir et des baies roses.

Attention : avant de baisser la flamme, il faudra éliminer l’excès d’écume qui se crée sur la surface. Après quoi le bouillon pourra mijoter tranquillement pendant au moins deux heures, en compagnie d’un peu de gros sel.

Entre temps, on s’intéressera à l’invité d’honneur : le riz. Dans la Vénétie, on a des excellentes productions comme le Vialone Nano de Verone, ou le riz du Delta del Po. Moi j’ai pu mettre la main sur un autre fleuron de l’agriculture italienne, une variété carnaroli de Vercelli (dans le Piémont), affinée plus d’un an (déjà utilisé dans une autre recette, donc une valeur sûre).

… et pour compléter l’ensemble, choisissez un parmesan affiné cinq ans. Sa texture dense et minérale conviendra parfaitement pour lier les ingrédients.

On y est presque. Le bouillon désormais prêt, il faudra le filtrer en mettant de côté les légumes et la viande. Ensuite, on émincera une échalote et un poireau…

… et c’est parti pour le risotto. Les légumes devront rissoler à feu doux dans un peu d’huile extra vierge d’olive, assaisonnés de quelques gouttes de vinaigre balsamique. Le riz, lui, devra être torréfié pour prendre un peu de couleur.

C’est maintenant au tour de l’invité surprise : la moitié du vin rouge Valpolicella. Versez-le tout en touillant et attendez qu’il soit évaporé…

… ensuite, procédez comme toujours pour faire un risotto. Versez louche après louche, le bouillon de viande pour cuire le riz (comptez minimum quinze minutes). N’arrêtez jamais de touiller.

Vers la fin de la cuisson, versez la deuxième moitié du vin, une dernière louche de bouillon, une bonne dose de cannelle râpée, du poivre noir du moulin…

… Eteignez le feu, et après avoir déplacé la poêle, ajoutez du beurre de haute qualité pour lier l’ensemble.

Sans oublier, bien sûr, le parmesan râpé.

Vous verrez : l’arôme de la viande, mélangé aux senteurs des épices, au parfum du vin rouge et au minéral du fromage, vous offrira des sensations très subtiles et harmonieuses.

Un mot sur le vin qui accompagnera le plat. C’est le même que celui qu’on a utilisé dans la préparation du risotto : un Valpolicella rosso A.O.C.G. Ripasso, produit exclusivement dans les alentours de Vérone. La technique du ripasso consiste à verser le vin directement dans les cuves où un autre vin (l’Amarone, vin de paille rouge, du même cépage que le Valpolicella) a été préalablement broyé avant de vieillir en barriques, en le laissant reposer au contact du marc fraîchement pressé pendant environ 15 à 20 jours. Le Valpolicella s’enrichit ainsi de l’arôme propre à l’Amarone. Goûtez-le, et vous verrez que ça valait la peine d’étudier les oeuvres de Palladio…

Ingrédients pour 4 personnes =
pour le bouillon : 3 litres d’eau, 400 g. de queue de boeuf, un oignon, une carotte, deux branches de céleri, poivre noir en grains, quelques baies roses, un peu de gros sel.
Pour le risotto : 300 g. de riz carnaroli (ou autre) affiné, une échalote, un poireau, quelques gouttes de vinaigre balsamique, 2 dl de vin rouge (Valpolicella ripasso), 80 g. de parmesan 60 mois, 20 g. de beurre, poivre noir du moulin, cannelle, huile extra vierge d’olive, bouillon (filtré).
P.S.: bien évidemment les restes du bouillon et la viande de la queue pourront être consommés le jour même, ou le lendemain.